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Gabrielle Lefèvre – Traité transatlantique : une machine à exclusion sociale

L’économie n’est pas qu’une accumulation de chiffres, de statistiques, de diagrammes : ce sont des activités humaines basées sur des projets politiques et sociaux. C’est la manière de gérer la survie et le développement des populations, de gérer les biens communs de l’humanité, à commencer par les ressources naturelles de la Terre. Bref, c’est une question de civilisation, de conception de notre présence au monde et de notre responsabilité d’humains.

Or, est en route une énorme machine d’exclusion sociale contre laquelle la société civile se bat depuis des années.

Depuis la chute du Mur de Berlin, les gouvernements américains et les transnationales américaines et européennes les plus puissantes sont en contact avec les autorités européennes afin de favoriser au maximum les ententes commerciales bilatérales Europe-États-Unis. Le problème est que les préliminaires se sont passés exclusivement entre représentants américains et européens et plus de 70 firmes qui conseillent ces représentants. Citons : AIG, AT&T, BASF, BP, Deutsche Bank, EADS, ENI, Exxon Mobil, Ford, GE, IBM, Intel, Merck, Pfizer, Philip Morris, Siemens, Total, Verizon, Xerox. Les peuples des 27 Etats membres (à l’époque) de l’Union européenne ont été totalement mis à l’écart. De même que les organisations syndicales internationales qui ont été consultées sur le tard et sans avoir accès à tous les éléments d’information.

Source: Gabrielle Lefèvre – Médiapart

Depuis plus d’un an se poursuivent des négociations concrètes – mais toujours secrètes – sur un projet de Traité transatlantique. Ce secret est une insulte aux structures sociales, juridiques et démocratiques qui ont donné un caractère social à l’Europe. Je parle de cette Europe que nos parents ont voulu créer après la deuxième guerre mondiale et dans laquelle beaucoup de citoyens ont cru ; pas de cette Europe du néo-libéralisme et de sa religion du « tout au marché » que prônent les tenants inconditionnels du capitalisme débridé, celui de l’ultralibéralisme et de la primauté des mécanismes de la financiarisation de nos économies.

Que signifieront encore les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité dans un tel système? L’Europe que nous voulons ? Qui est ce « nous » ? Ce sont des centaines de milliers de citoyens qui se battent contre la mainmise des lobbies et notamment ceux des multinationales qui négocient discrètement avec de hauts fonctionnaires européens et étatsuniens les divers termes de ce projet d’accord transatlantique.

– Quel projet ? Le 14 juin 2013, les 28 gouvernements de l’Union européenne ont demandé à la Commission européenne de négocier avec les États-Unis la création d’un Grand Marché Transatlantique (GMT). Ce projet s’appelle « Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement » (TTIP en anglais). Derrière ces mots anodins se cache « la plus grande menace non militaire jamais lancée contre les peuples d’Europe », avertit Raoul Marc Jennar, politologue et ancien consultant en relations internationales… Cette menace est imminente car les négociations doivent aboutir en 2015… Cette année donc.

– De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’appliquer complètement les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui visent à éliminer tous les obstacles à la libre concurrence. Dans la littérature de l’OMC, les obstacles sont constitués par tout ce que le secteur privé considère, dans les Constitutions, les lois, les règlementations et les procédures administratives, comme « une discrimination à la concurrence » ou comme une disposition « plus rigoureuse que nécessaire ». Et l’article 3 du mandat de négociations du GMT réclame un « haut niveau d’ambition d’aller au-delà des engagements actuels de l’OMC ».

Trois objectifs :

1. Tout d’abord, éliminer au maximum les droits de douane entre Union européenne et USA. C’est déjà presque fait, sauf dans l’agriculture où ils demeurent élevés.

2. Ensuite, réduire, voire éliminer ce qu’on appelle, dans le jargon, les barrières non tarifaires. C’est-à-dire, le démantèlement complet de l’appareil législatif et réglementaire des 28 États de l’UE chaque fois qu’une norme est considérée comme un obstacle excessif à la libre concurrence. Et cela vise aussi bien les normes sociales, alimentaires, sanitaires, phytosanitaires, environnementales, culturelles que les normes techniques.

3. Enfin, permettre aux firmes privées d’attaquer les législations et les réglementations des États quand ces firmes considèrent qu’il s’agit d’obstacles inutiles à la concurrence, à l’accès aux marchés publics, à l’investissement et aux activités de service. Elles pourront le faire, non plus devant les juridictions nationales, mais devant des groupes d’arbitrage privés, ce qui aura pour conséquence que les juridictions officielles (tribunaux, Conseil d’État, Conseil Constitutionnel) seront dépouillés de toute compétence dès qu’une firme privée sera plaignante. Si ce projet est adopté, ce sont les firmes privées qui définiront progressivement les normes de la vie en société.

On appelle cela : le règlement des différends. Ou ISDS en anglais.

Un exemple si on accepte ce GMT : une université américaine veut entrer sur le désormais « marché de l’éducation » en Belgique. Celle-ci revendique les mêmes subventions que les universités d’ici, au motif d’entrave à la libre concurrence. Impayable évidemment ! Obligé d’obéir aux règles du Grand Marché Transatlantique, le pays devra supprimer ses aides aux universités sous peine de payer des amendes effroyables aux candidats américains qui menacent d’un règlement arbitral de ce différend.

Comment cela va-t-il se passer concrètement?

Lorsque qu’une firme privée considère que des normes sociales ou environnementales adoptées par les pouvoirs publics, au niveau national, régional, départemental ou local, sont plus rigoureuses qu’il est nécessaire à leurs yeux ou constituent une entrave à la libre concurrence, l’article 32 du mandat de négociation instaure ce mécanisme de règlement des différends. La firme peut alors introduire une action contre le pouvoir public concerné. L’article 45 crée un mécanisme identique pour toutes les dispositions de l’accord en négociation. Le mécanisme de règlement des différends est une structure privée d’arbitrage constituée au cas par cas, dont les arbitres ne sont pas des magistrats professionnels, mais des personnes privées désignées par les parties ; les débats ne sont ni contradictoires, ni publics. Il n’y a pas de procédure d’appel. Ce mécanisme ne peut en aucune façon être assimilé à un tribunal. Le modèle le plus connu en France est le groupe d’arbitrage créé pour le différend entre Tapie et l’État. On a vu ce que cela a donné !

Vous doutez ? Il y a 20 ans, deux pays ont signé leur propre accord de grand marché avec les États-Unis : le Canada et le Mexique. Il s’agit de l’ALENA (Accord de Libre-Echange Nord-Américain). Le Canada a été attaqué 35 fois par des firmes privées américaines. Dans la majorité des cas, ces firmes contestaient des mesures introduites au niveau fédéral, provincial ou municipal en vue de protéger la santé publique ou l’environnement ou pour promouvoir des énergies alternatives. Le Canada et le Mexique ont perdu toutes les plaintes déposées par les firmes étasuniennes. Mais aucune des plaintes déposées contre les États-Unis par des firmes canadiennes et mexicaines n’ont abouti. En tout, le Canada a déjà dû débourser des dommages et intérêts de plus de 171,5 millions de dollars canadiens. A l’heure actuelle, des investisseurs américains réclament plusieurs milliards de dollars au gouvernement canadien.

Un exemple ? La firme chimique américaine Ethyl a poursuivi le Canada pour une loi de 1997 interdisant un additif qui rend le diesel plus performant. Cet additif contient du manganèse qui est neurotoxique. Le Canada a du payer 13 millions de $ de compensations à Ethyl et abroger sa loi !

Malgré ces précédents, l’Union européenne a conclu avec le Canada, le 26 septembre 2014, un accord d’intégration économique de large portée (Accord AECG)… prévoyant un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, semblable à celui du GMT ! Du coup, la contestation européenne exige l’annulation de cet accord, en plus de l’arrêt des négociations sur le GMT.

Principale cible : l’agriculture.

Les domaines concernés par le projet de TTIP sont nombreux. On pourrait évoquer la finance, la santé, la sécurité sociale, l’éducation. Mais cela mériterait un livre entier. J’ai choisi le thème qui nous concerne le plus intimement : la nourriture.

Imaginez un repas absurde avec du bœuf aux hormones, du poulet lavé au chlore, du maïs transgénique, du chocolat sans graine de cacao… qui ont inondé nos grands magasins. Imaginez des campagnes saccagées par d’immenses exploitations agricoles, industrialisées, « pesticisées », rentables à mort dans une vaine tentative d’empêcher l’envahissement de nos pays par les produits agricoles étatsuniens – délivrés des droits de douane européens – mais toujours subventionnés par le gouvernement étatsunien. Fini donc le panier du pays, le circuit court entre paysans et consommateurs, à la poubelle de l’histoire l’agriculture biologique. Imaginez le triomphe ricanant de Monsanto qui répand ses semences trafiquées, seules autorisées par les firmes multinationales et la commission européenne. Tant pis pour les abeilles !

Comment cela va-t-il se passer ? Actuellement, les droits de douanes sont très réduits dans quantité de secteurs commerciaux. Heureusement, ils sont restés importants dans le domaine des produits issus de l’agriculture : les viandes, les poissons, les dérivés du lait, les œufs, les céréales, les oléagineux, le cacao, le café, le thé, les épices, les fruits et légumes, les produits de la minoterie, le sucre, les boissons.

L’agroéconomiste Jacques Berthelot a procédé à une analyse minutieuse[i], produit par produit, des conséquences d’une élimination même progressive des droits de douane européens sur les produits agricoles importés des USA. A ces conséquences directes, il faut ajouter qu’en vertu du principe de l’OMC du traitement de la nation la plus favorisée, si l’Europe élimine les droits de douane pour les produits agricoles étatsuniens, elle devra le faire pour les produits agricoles de tous les pays membres de l’OMC. Le marché européen deviendra alors le marché le plus ouvert du monde.

Conclusion de Berthelot : cet abaissement « remettrait totalement en cause l’objectif de faire évoluer l’agriculture européenne vers des modèles plus durables – aux plans économique, social et environnemental – , il accélérerait le processus de concentration des exploitations pour maintenir une compétitivité minimale, réduirait drastiquement le nombre d’actifs agricoles, augmenterait fortement le chômage, la désertification des campagnes profondes, la dégradation de l’environnement et de la biodiversité et mettrait fin à l’objectif d’instaurer des circuits courts entre producteurs et consommateurs. »

Outre les droits de douane, quel est l’enjeu majeur des négociateurs ?

Abattre les normes pour imposer la bio-piraterie et la dérégulation sanitaire, alimentaire et phytosanitaire. L’article 28 du mandat appelle en effet à un renforcement des droits de propriété intellectuelle tels qu’ils sont déjà amplement consacrés par l’accord de l’OMC. On sait que c’est par une extension de ces droits que l’agrobusiness s’emploie à s’assurer le contrôle de toute la chaîne alimentaire, de la semence à l’assiette, à imposer ses propres semences, à breveter le vivant végétal (nutritif ou curatif) et animal et, de la sorte, à privatiser le patrimoine de l’humanité. On sait aussi que c’est l’usage abusif de ces droits par les multinationales pharmaceutiques, soutenues par des gouvernements occidentaux, qui réduit de plus en plus l’accès aux médicaments essentiels pour les populations en situation précaire. Je vous recommande de lire à ce sujet le dernier rapport d’Oxfam titré : « Insatiable richesse : toujours plus pour ceux qui ont déjà tout » où l’on détaille comment les entreprises dépensent des millions de dollars en lobbying afin de protéger et renforcer leurs intérêts.

Les USA et l’UE ont des manières très différentes de protéger la santé des consommateurs. Aux USA, dont le gouvernement n’est pas chargé de l’intérêt général, c’est par les voies de recours aux tribunaux que les consommateurs peuvent agir à posteriori. Dans les États européens, c’est par l’établissement de normes que cette protection est assurée.

Autrement dit, aux USA, tant qu’il n’a pas été prouvé scientifiquement qu’un produit est nocif, il est libre d’accès. En Europe, tant qu’on n’a pas prouvé que le produit est sain, il est interdit d’accès. Deux conceptions du risque radicalement opposées.

En Europe, des normes en matière d’alimentation et de santé, ainsi qu’en matière phytosanitaire (santé des plantes) protègent plus ou moins les populations. Le texte du mandat des négociateurs annonce que l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires de l’OMC ainsi que l’accord vétérinaire bilatéral USA-UE vont servir de base pour aller plus loin. Mais dans quel sens ? Certainement pas vers plus de protection, puisque les entreprises américaines contestent le bien fondé scientifique des normes sanitaires européennes et font pression sur le gouvernement US pour obtenir leur abrogation à travers cet accord transatlantique.

Les refus européens des OGM, celui du bœuf traité aux hormones de croissance, des poulets chlorés, des carcasses traitées à l’acide lactique, des porcs traités à la ractopamine (additif chimique qui rend la viande plus maigre, interdit dans 150 États) sont considérés, aux USA, comme des barrières protectionnistes dépourvues de pertinence scientifique. Les négociateurs américains n’accepteront jamais le « droit pour les Parties à évaluer et gérer les risques en conformité avec le niveau de protection que chaque Partie juge approprié, en particulier lorsque les preuves scientifiques sont insuffisantes » demandé par le mandat(article 25). D’ailleurs, l’article 45 de celui-ci prévoit que les firmes privées auront le droit de contester toutes les normes (sociales, sanitaires, environnementales, …) devant ce fameux mécanisme de règlement des différends.

Que nous rapporterait le GMT?

Les autorités européennes s’évertuent à nous faire croire que ce grand marché aurait de magnifiques répercussions sur notre commerce et donc des retombées financières et en terme d’emplois dans nos pays. Et pourtant, un rapport issu du Centre européen d’économie politique internationale (European Centre for International Political Economy, Ecipe), affirme que le GMT procurera à la population du marché transatlantique un surcroît de richesse de 3 centimes par tête et par jour… à partir de 2029 (14). La même étude évalue à 0,06 % seulement la hausse du produit intérieur but (PIB) en Europe et aux États-Unis. Par comparaison, la cinquième version de l’iPhone d’Apple a entraîné aux États-Unis une hausse du PIB huit fois plus importante !

Par contre, il est impossible de chiffrer le risque que nous ferait courir les milliers d’entreprises qui utiliseraient contre nos États le mécanisme de règlement des différends. Quatorze mille quatre cents compagnies américaines disposent en Europe d’un réseau de cinquante mille huit cents filiales qui pourraient se jeter dans la chasse aux trésors publics. Ce serait la faillite assurée de nos finances nationales.

Les rapaces ne sont pas uniquement américains ! Rappelons que le fournisseur d’électricité suédois Vattenfall réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son « tournant énergétique », qui encadre plus sévèrement les centrales à charbon et promet une sortie du nucléaire !

Et que la française Veolia, qui traite les déchets d’Alexandrie, a attaqué l’Égypte pour une atteinte insupportable à ses intérêts parce que le gouvernement a accepté une augmentation de salaire minimum des travailleurs – de 41 à 72 euros par mois -…

La réaction citoyenne est européenne

Comment réagir ? D’abord, en brisant le secret. La mobilisation des citoyens européens a été entendue par la Cour de Justice Européenne qui a décidé en juillet 2014 que les documents portant sur des négociations internationales ne doivent pas être « systématiquement » confidentiels.

Tiens, à ce propos, curieuse coïncidence, la Commission européenne a dévoilé le 28 novembre 2013 une proposition de directive relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites. Tout n’est pas nécessairement mauvais dans ce projet mais il a une conséquence très claire : les lanceurs d’alertes comme ceux qui ont révélé Luxleaks ou HSBC et bien d’autres affaires risquent d’être poursuivis et condamnés. « En effet, la notion de secret des affaires consacre le fait que le droit des actionnaires prime sur celui des salariés et de la société tout entière et remet directement en cause le droit d’intervention des organisations syndicales, la reconnaissance récente et fragile des lanceurs d’alerte et la liberté de la presse », annonce une série d’associations françaises regroupées sous les sigles « stop trade secret » et « we are the leaks ».

Ce projet de directive est mis à l’ordre du jour du Parlement européen le 28 avril ; une campagne est donc lancée visant à obtenir un vrai statut des lanceurs d’alerte, à renforcer le droit d’intervention des organisations syndicales et des institutions représentatives du personnel, et à garantir la responsabilité des multinationales.

Le secret des négociations sur le GMT doit cesser. Le débat doit être porté devant les parlements, au vu et au su de tous. Heureusement, les pouvoirs locaux peuvent refuser d’entériner le futur accord transatlantique. De nombreux appels sont lancés sur internet pour que les citoyens des divers pays européens interpellent leurs élus afin de s’engager à ce sujet.

En Belgique, la campagne No-Transat a été lancée il y a quatre ans déjà par des militants de la FGTB, rejoints par la CSC et de nombreux groupes citoyens. 74.550 citoyens belges ont déjà signé leur adhésion. Une pétition européenne a recueilli, elle, plus d’un million 475 mille signatures. Malgré cela, elle n’a pas été reconnue comme « Initiative citoyenne » à part entière par la Commission européenne ancienne. Il faut dire que le commissaire chargé à l’époque du commerce, Karel De Gucht, est un fervent partisan du GMT.

En France, une vingtaine de villes et communautés territoriales ont déclaré leur opposition au GMT. En Belgique, la Ville de Bruxelles a adopté le 22 janvier 2015 une résolution en ce sens. D’autres communes belges ont effectué la même démarche. Le mouvement s’étend dans divers pays européens.

Cependant, l’actualité politique est paradoxale. D’une part, le nouveau parlement européen vient d’organiser un débat portant notamment sur la clause des Règlement des Différends Investisseurs-États (RDIE), qui a essuyé récemment de vives critiques de la part des gouvernements allemands et français. Mais ces trois derniers jours, on apprenait que la France faisait marche arrière à ce sujet ! Motif ? Mieux vaut une cour d’arbitrage qu’une juridiction inféodée au pouvoir… Et l’on pense ici à la Chine. L’Allemagne reste toujours vigoureusement contre. L’arrivé au pouvoir de Syriza en Grèce pourrait également rebattre les cartes des soutiens gouvernementaux aux accords de « libre-échange ».

Partout, des citoyens se groupent, contestent, pétitionnent, boycottent. Ils veulent une éthique de l’économie. Ils veulent une responsabilisation morale des multinationales. Les journaux, les grands médias répercutent de plus en plus cette question.

Malgré cela, notre gouvernement fédéral a affirmé, le 5 février 2015, sa volonté de conclure au plus tôt les dizaines de traités internationaux dans le cadre de l’Union économique belgo-luxembourgeoise, toujours en attente de signature. Tous contiennent une clause d’arbitrage « investisseurs-contre-Etats » similaire à celle prévue dans le projet de traité transatlantique.

Notre gouvernement oublie que nous avons une affaire pendante avec la Chine à la suite d’un accord semblable : en 2012, l’assureur chinois Ping An a entamé un arbitrage contre la Belgique, sur base de l’accord bilatéral d’investissement UEBL-Chine, demandant compensation pour une perte qu’il estime à 2,8 milliards d’Euros dans le cadre du rachat de la banque Fortis. Une sentence pourrait donc être rendue dans les prochaines années par trois arbitres privés condamnant la Belgique à plusieurs milliards d’euros de compensation, sans aucun recours possible, contre une décision prise par un gouvernement démocratiquement élu.

Mais que font nos parlementaires ?

Pouvons-nous rêver d’une éthique mondiale ?

Malgré les atermoiements politiques, la lutte continue. Elle dépasse le clivage gauche-droite. Elle inclut les débats sociétaux, écologiques, de droit international, d’éthique des affaires.

De plus en plus de citoyens interpellent leurs élus, refusent qu’on leur impose des règles contraires aux valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité. Ils veulent le maintien des valeurs de solidarité, des Etats garants de la démocratie, de la sécurité sociale, de dialogue social par le biais des syndicats notamment. Ils rêvent d’un tribunal pénal international pour les multinationales les plus criminelles, celles qui volent les terres, les biens communs, les richesses de la nature et surtout, celles qui violent les droits les plus élémentaires des populations locales, des travailleurs… et qui viennent ensuite tranquillement négocier avec nous une extension de leur énorme pouvoir.

S’ils respectent ces valeurs et ces règles exigées par les citoyens, les pouvoirs démocratiques pourront faire respecter le droit international, les règles de sécurité alimentaires et médicales les plus strictes. La création intellectuelle, artistique et scientifique autant que technique, pourra être protégée et financée par les Etats. L’environnement sera protégé afin que nous puissions produire des aliments sains en suffisance pour nourrir une humanité en croissance. C’est possible, mais seule une régulation par les pouvoirs publics peut obtenir de tels résultats et pas le dit « libre marché » qui sert avant tout les intérêts d’une minorité de riches.

Oui, il est permis de rêver de pouvoirs publics, émanations des peuples informés, éclairés, solidaires. Nous pouvons mettre en pratique cet humanisme héritier des Lumières où de plus en plus de citoyens utilisent les leviers de la démocratie pour protéger le bien commun.

Notes :

http://www.jennar.fr/

www.gmtpourleretraitdelafrance.fr

http://www.collectifstoptafta.org/collectifs-locaux/

http://www.no-transat.be/

http://www.altersummit.eu/alter-sommet/article/appel-a-un-sommet-alternatif?lang=en

http://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/

– « Europe, une biographie non autorisée. De la « paix américaine » à la « civilisation poubelle », 580 pages chez Aden, pour 30 €.

Le Monde diplomatique daté juin 2014 comprend un dossier de huit pages sur le Grand marché transatlantique (GMT).

http://www.euractiv.fr/sections/euro-finances/les-documents-du-ttip-peuvent-etre-publies-selon-la-cour-de-justice

– « Les usurpateurs- Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir », Susan George, Seuil, 2015.

http://www.cncd.be/Le-gouvernement-Michel-sous-traite

http://www.cncd.be/L-arbitrage-investisseur-Etat-un

– Transatlantique arnaque – La casse du siècle: https://www.youtube.com/watch?v=LjftFgq_Ltg

– BERTHELOT Jacques, La folie d’intégrer l’agriculture dans un accord de libre-échange UE-USA, 15 août 2013 (jacques.berthelot4@wanadoo.fr).

Dmitry Orlov: Les US échoueront à l’échec en entraînant leurs partenaires

Source: Dmitry Orlov –  ClubOrlov / Le Saker Francophone



Balayant les titres de la presse mainstream occidentale, puis regardant attentivement derrière le miroir sans tain pour les comparer avec les allées et venues réelles, on peut avoir l’impression que les propagandistes de l’Amérique, et de tous ceux qui suivent dans leur sillage, poussent de toutes leurs forces pour concocter des justifications pour une action militaire quelle qu’elle soit, que ce soit pour fournir des armes à l’armée ukrainienne largement défunte, ou pour un  défilé de matériels et de troupes militaires des États-Unis mis en scène dans la ville presque entièrement russe de Narva, en Estonie, à quelques centaines de mètres de la frontière russe, ou pour mettre des conseillers américains en danger dans certaines parties de l’Irak principalement contrôlées par des militants islamistes.

Les efforts acharnés pour attiser l’hystérie comme au temps de la guerre froide sous le nez d’une Russie autrement préoccupée mais essentiellement passive, semblent hors de proportion avec la menace militaire réelle posée par la Russie. (Oui, en Ukraine, les bénévoles et des munitions filtrent à travers la frontière russe, mais c’est tout.) Plus au sud, les efforts visant à renverser le gouvernement de la Syrie, en aidant et en armant les islamistes radicaux semblent avoir beaucoup de ratés. Mais c’est un scénario bien connu, n’est ce pas? Que l’engagement militaire américain de mémoire récente n’ai abouti qu’à des fiascos? Peut-être que l’échec n’est pas seulement une option, mais plus une nécessité?

Passons-les en revue.

  • L’Afghanistan, après la plus longue campagne militaire de l’histoire des États-Unis, a été rendue aux talibans.
  • L’Irak n’existe plus en tant que nation souveraine, elle est fracturée en trois morceaux, l’un d’eux contrôlé par des islamistes radicaux.
  • L’Égypte a été démocratiquement réformée en une dictature militaire.
  • La Libye est un état moribond en pleine guerre civile.
  • L’Ukraine sera bientôt dans un état semblable; elle a été réduite à la pauvreté en un temps record, moins d’une année.
  • Un renversement récent du gouvernement a sorti le Yémen de la sphère d’influence des États-Unis.
  • Plus près de nous, les choses vont si bien dans les pays d’Amérique centrale dominés par les US, le Guatemala, le Honduras et El Salvador, qu’ils ont produit un flot de réfugiés, tous essayant d’entrer aux États-Unis dans l’espoir d’y trouver un sanctuaire.

En regardant ce vaste paysage d’échecs, il y a deux façons de l’interpréter. La première est que l’administration des États-Unis est la plus incompétente que l’on puisse imaginer, et ne peut jamais obtenir quoi que ce soit de correct. Mais une autre façon de voir est qu’ils ne réussissent pas pour une raison très différente: ils ne réussissent pas parce que les résultats ne comptent pas. Vous voyez, si l’échec était un problème, alors il y aurait une sorte de pression venant de quelque part au sein de l’establishment, et la pression pour réussir pourrait donner sporadiquement lieu à une amélioration des performances, menant à au moins quelques succès. Mais si, de fait, les échecs ne sont pas un problème du tout, et si à la place il y avait une sorte de pression à l’échec, nous verrions alors exactement ce que nous ne voyons.

On peut aussi remarquer que c’est la portée limitée de l’échec [l’échec de l’échec en somme, Note du Saker Fr] qui constitue un problème. Cela expliquerait les récentes rodomontades en direction de la Russie, l’accusant d’ambitions impériales (Russie qui n’est pas intéressée par des gains territoriaux), la diabolisation de Vladimir Poutine (qui est efficace et populaire) et les provocations le long de diverses frontières de la Russie (en laissant la Russie se sentir vaguement insultée mais plus généralement indifférente). On peut faire valoir que toutes les précédentes victimes de la politique étrangère des États-Unis, comme l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, et même l’Ukraine, sont trop petites pour produire un échec assez grand pour satisfaire le goût de l’Amérique pour l’échec. La Russie, d’un autre côté, surtout quand on est incité à penser qu’il se lève une sorte de fascisme nouveau à la sauce américaine, a la capacité de fournir aux États-Unis un échec de politique étrangère qui éclipserait tous les précédents.

Des analyses ont proposé une variété d’explications pour le militarisme hyperactif et surdimensionné de l’Amérique. Voici les trois premiers:

1. Le gouvernement américain a été soumis au complexe militaro-industriel, qui demande à être financé généreusement. Les justifications sont créés artificiellement pour atteindre ce résultat. Mais il semble y avoir une sorte de pression pour fabriquer effectivement des armes et avoir des armées sur le terrain. Est-ce que ça ne serait pas beaucoup plus rentable d’atteindre l’échec total simplement en volant tout l’argent sans passer par la construction réelle des systèmes d’armes? [c’est fait en partie, Note du Saker Fr] Donc il doit y avoir quelque chose d’autre.

2. La posture militaire américaine est conçue pour assurer une domination totale de l’Amérique sur l’ensemble de la planète. Mais domination totale sonne un peu comme succès, alors que ce que nous voyons est un échec complet. Encore une fois, cette histoire ne correspond pas aux faits.

3. Les actes militaires des États-Unis pour défendre le statut du dollar américain comme monnaie de réserve mondiale. Sauf que le dollar américain est lentement mais sûrement en train de perdre son attractivité en tant que monnaie de réserve, comme en témoignent la Chine et la Russie agissant aussi rapidement que possible pour se débarrasser de leurs réserves en dollars américains, et stocker de l’or à la place. De nombreux autres pays ont conclu des accords entre eux pour cesser d’utiliser le dollar américain dans le commerce international. Le fait est qu’on n’a pas besoin d’un énorme potentiel militaire pour vider sa monnaie nationale dans les toilettes, donc, une fois de plus, quelque chose d’autre doit se passer.

Il y a beaucoup d’autres explications possibles, mais aucune d’entre elles n’explique le fait que le but de tout ce militarisme semble être de parvenir à l’échec.

Peut-être une explication plus simple suffirait? Que diriez-vous de celle-ci?

Les États-Unis ont abandonné leur souveraineté à une clique d’oligarques financiers. N’ayant plus personne à qui répondre de ses actes, cette oligarchie américaine (et dans une certaine mesure internationale) a ruiné la situation financière du pays, en augmentant la dette jusqu’à des niveaux stupéfiants, détruisant l’épargne et les retraites, avilissant la monnaie et ainsi de suite. L’inévitable fin du jeu est que la Réserve fédérale des États-Unis (avec les banques centrales des autres pays développés) finira par acheter toute les dettes souveraines avec l’argent qu’ils impriment à cet effet et, au bout du compte, cela conduira inévitablement à l’hyperinflation et à la faillite nationale. Un ensemble très particulier de conditions a empêché ces deux événements d’avoir lieu jusqu’à ce jour, mais cela ne signifie pas qu’ils ne se produiront pas, parce que c’est ce qui arrive toujours, tôt ou tard.

Maintenant, supposons qu’une oligarchie financière ait pris le contrôle du pays, et, comme elle ne peut pas contrôler ses propres appétits, elle est en cours d’effondrement. Alors, il serait logique pour elle d’avoir une sorte de plan de sauvegarde pour le jour où tout le château de cartes financier s’écroulera. Idéalement, ce plan aurait pour effet de mettre fin à toute chance de révolte des masses opprimées, et de permettre à l’oligarchie de maintenir sa sécurité et sa richesse. En temps de paix, c’est possible aussi longtemps qu’elle peut apaiser la populace avec du pain et des jeux, mais quand une calamité financière provoque un crash économique, le pain et les jeux deviennent rares, et la solution de repli à portée de main, c’est la guerre.

N’importe quelle justification pour la guerre fera l’affaire, qu’il s’agisse de terroristes étrangers ou nationaux, du croquemitaine russe, ou d’extraterrestres hallucinés. Le succès militaire n’est pas important, parce que l’échec est encore mieux que le succès pour maintenir l’ordre, car il permet de forcer l’ordre grâce à diverses mesures de sécurité. Plusieurs pistes sont explorées et ont été testées, telles que l’occupation militaire de Boston à la suite des attentats et la mise en scène sur le marathon de Boston. L’infrastructure de surveillance et le complexe industriel des prisons partiellement privatisé sont déjà en place pour enfermer les indésirables. Un échec vraiment énorme fournirait la meilleure justification pour mettre l’économie sur le pied de guerre, imposant la loi martiale, la répression de la dissidence, interdisant les activités politiques extrémistes et ainsi de suite.

Voilà à quoi nous devrions peut-être nous attendre. L’effondrement financier est déjà tout cuit, et ce n’est qu’une question de temps avant que cela n’arrive effectivement et précipite l’effondrement commercial lorsque les chaînes d’approvisionnement mondiales cesseront de fonctionner. L’effondrement politique peut être évité, et sa meilleure façon de résister sera de commencer le plus grand nombre possible de guerres, afin de tisser, en toile de fond, une multitude d’échecs servant de justification à toutes sortes de mesures d’urgence, qui toutes n’ont qu’un seul objectif: supprimer la rébellion et garder l’oligarchie au pouvoir. Hors des États-Unis, il semblera que les Américains détruisent tout: des pays, des infrastructures, des passants innocents, et eux-mêmes (figurez-vous, apparemment cela fonctionne aussi). De l’extérieur, regardant dans la salle des miroirs sans tain de l’Amérique, cela ressemblera à un pays devenu fou; mais il y ressemble déjà de toute façon. Et à l’intérieur de la salle des miroirs, cela ressemblera à de vaillants défenseurs de la liberté qui luttent contre les ennemis implacables du monde entier. La plupart des gens resteront dociles et agiteront juste leurs petits drapeaux.

Mais je m’aventurerai à parier qu’une défaillance se produira à un certain moment se traduisant par un méta-échec: l’Amérique échoue même à l’échec. J’espère qu’il y a quelque chose que nous pouvons faire pour aider ce méga échec de l’échec à se produire le plus vite possible.

Traduit par Hervé, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone


 

MOSCOU – Valentin Vasilescu – Minsk-2: nouvelle victoire du Président Poutine

Auteur: Valentin Vasilescu – dim., 15 fév. 2015Acs-rss.ro

Pour obtenir ce qu’il s’était proposé, le subtil Poutine a fait, ces deux derniers mois, quelques mouvements d’échecs magistraux qui ont abouti à mettre les Américains mat. Si avec l’Allemagne les choses ont été plus simples à résoudre, il en était autrement pour la France. Après avoir constaté le refus de livrer à temps les porte-hélicoptères Mistral (sur l’ordre de Washington), Poutine s’est vu obligé de jouer de telle manière qu’il puisse rétablir les relations avec la France sans que les Etats-Unis puissent avoir leur mot à dire.

Au mois de Décembre 2014, Poutine est revenu de sa visite de 24 heures en Inde avec des contrats pour la réalisation de 12 réacteurs nucléaires, pour la livraison de pétrole pour les 10 années à venir et pour la réalisation conjointe avec GAIL (la plus grande compagnie indienne de gaz) de l’extension des gazoducs russes en Inde, qui pomperont annuellement 30 milliards mètres cubes de gaz.

La Russie fournit 75% de l’armement dont est dotée l’armée indienne et lui a construit, durant les trois dernières décennies, des usines d’avions, des blindés, des missiles et des systèmes d’artillerie. Ce qui a permis à Poutine de leur faire lancer la « rumeur », immédiatement reprise par la presse internationale, selon laquelle le Ministre de la Défense de Delhi ne souhaiterait plus honorer le précontrat de plus de 20 milliards d’Euro pour l’achat des 126 avions multi rôles français Rafale, en changeant son option pour la version la plus récente des Su-30 : Su-30 SM (à deux places et au radar performant du type AESA ).

Depuis 1998 jusqu’à présent, 137 avions Rafale ont été vendus, tous à l’armée française. 26 autres appareils pourraient être achetés par l’armée de la France d’ici 2019, mais seulement si la ligne d’assemblage de Mérignac démontrait être capable d’un rythme de 55 appareils par an. C’est la raison pour laquelle l’exportation s’avère cruciale pour la firme Dassault. Pour la Russie, la construction de 126 avions Su-30 SM en Inde est quelque chose de très facile à réaliser surtout que, à partir de 2002, l’Inde a fabriqué 200 appareils Su-30MKI. En revanche, pour le président français Hollande, la perte de ce contrat signifiait un vrai désastre.

Voilà pourquoi, le lendemain, François Hollande a organisé une visite-éclair à Moscou, pour parler avec Vladimir Poutine. On ne peut pas dire exactement ce dont les deux hommes ont discuté, mais on peut en deviner la teneur. Le deuxième coup de Poutine dans cette partie d’échecs s’est déroulé le 12 février 2015, pendant la visite de deux jours en Egypte du président de la Fédération Russe. Suite à l’entente entre Hollande et Poutine à Moscou, le gouvernement du Caire a annoncé la conclusion d’un contrat de 5 milliards d’euros avec la France. Le contrat en question consiste dans la livraison de 24 avions Rafale fabriqués par Dassault, d’une frégate de la classe FREMM produite aux chantiers navals DCNS et d’un lot de missiles air-air produits par MBDA (Les missiles valant à eux seuls 400 millions Euro).

Le changement de cap de Poutine était évident parce que sa visite a été précédée, au mois de Novembre 2014, par celle du Ministre de la Défense, Sergueï Shoïgou qui a reçu la liste des demandes des Egyptiens où figurait un contrat de 3 milliards de dollars américains pour l’achat des avions multi rôle MiG-35 ou Su-30, nécessaires au remplacement des 50 de MiG-21 R, RFMM et MF fabriqués en URSS pendant les années 1971-1974.

De toute manière, la Russie n’a rien perdu, en signant, en échange, un contrat pour la construction de la centrale nucléaire de Daba, avec quatre réacteurs de 1.200 MW chacun.

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