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P.C.Roberts: De nouveau, la Grèce peut sauver l’Occident

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Comme à Marathon, aux Thermopyles, à Platées et à Mycale, il y a environ 2500 ans, de nouveau, la liberté occidentale dépend de la Grèce. Aujourd’hui, Washington et son empire d’États vassaux européens jouent le rôle de l’Empire perse, et les Grecs ont, tardivement, formé un gouvernement, Syriza, qui refuse de se soumettre à l’Empire de Washington.

Peu de gens comprennent que le sort de la liberté occidentale, ce qu’il en reste, est en jeu dans le conflit et, en fait, le sort de la vie sur terre. Il est certain que le gouvernement allemand ne le comprend pas. Sigmar Gabriel, un vice-chancelier allemand, a déclaré que le gouvernement grec était une menace pour l’ordre européen. Ce qu’il entend par ordre européen est le droit des pays les plus forts de piller les plus faibles.

La crise grecque n’est pas à propos de la dette. La dette est la propagande à laquelle l’Empire recourt pour nier la souveraineté partout dans le monde occidental.

Le gouvernement grec a demandé à la brochette de pays qui composent la démocratique Union européenne une prolongation d’une semaine pour rembourser la dette afin de permettre au peuple grec d’approuver ou de désapprouver les conditions léonines imposées à la Grèce par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI, sur l’insistance de Washington.

La réponse de l’Europe et du FMI, et de Washington, a été NON.

Ils ont dit au gouvernement grec que la démocratie ne s’applique pas lorsque les créanciers sont déterminés à faire payer les citoyens grecs pour les erreurs de leurs créanciers, avec la diminution des pensions de retraite, la réduction des soins de santé, de l’éducation, de l’emploi et des services sociaux. La position de l’Empire est que le peuple grec est responsable des erreurs de ses créanciers étrangers, et que le peuple grec doit payer pour les erreurs de ses créanciers, en particulier les erreurs [et magouilles comptables, NdT] commises par Goldman Sachs.

Comme cela a été définitivement prouvé, l’affirmation de l’Empire est fausse. Les mesures d’austérité qui ont été imposées à la Grèce ont fait chuter l’économie de 27%, augmentant ainsi le ratio de la dette par rapport au PIB et aggravant la situation financière du pays. Tout ce que l’austérité a fait est de tirer le peuple grec encore plus bas, ce qui rend le remboursement de la dette impossible.

L’Empire a rejeté le référendum démocratique de la Grèce de dimanche prochain, parce que l’Empire ne croit pas à la démocratie. L’Empire, comme tous les empires, croit en la soumission. La Grèce n’est pas soumise. Donc la Grèce doit être punie. Les Perses Darius et Xerxès avaient la même vision que Washington et l’UE. Le gouvernement grec est censé faire ce que les précédents gouvernements grecs ont fait, accepter de rembourser et autoriser le pillage de la Grèce.

Le pillage est la seule manière qui reste au système financier occidental pour faire de l’argent. Dans la course aux profits à court terme, les sociétés occidentales, encouragées et contraintes par le secteur financier, ont délocalisé à l’étranger l’industrie, la fabrication et les compétences professionnelles, ainsi que la technologie de l’information et l’ingénierie des logiciels. Tout ce qui reste à l’Occident, ce sont les paris de casino sur les produits dérivés à effet de levier. Apple est une société américaine, mais pas un seul ordinateur Apple n’est fabriqué aux États-Unis.

Les gouvernements allemand, français et néerlandais, avec Washington et le système financier occidental, se sont prononcés en faveur du pillage. Pour qu’un pays puisse être pillé, il faut que la voix de son peuple soit réduite au silence. Voilà pourquoi les Allemands et l’UE contestent au gouvernement grec le pouvoir de confier au peuple grec le droit de décider de l’avenir de la Grèce.

En d’autres termes, en Occident aujourd’hui, la souveraineté des peuples et la responsabilité des gouvernements sont incompatibles avec les intérêts financiers du 1%. Pour conclure : si la démocratie peut être détruite en Grèce, elle peut être détruite dans toute l’Europe.

Le peuple ne tient pas seulement le sort de la démocratie occidentale entre ses mains, mais aussi le sort de la vie sur la terre. La méthode de Washington pour créer un conflit avec la Russie est l’UE et l’Otan. En violation des accords [verbaux, NdT] passés entre Gorbatchev et les précédents gouvernements états-uniens, Washington a amené l’Otan aux frontières de la Russie et déploie actuellement plus de troupes, d’armements et de missiles sur les frontières russes, tout en tenant des propos agressifs à l’égard de la Russie.

La Russie n’a pas d’autre choix que de viser ces déploiements militaires insensés. Comme ces derniers augmentent et que la propagande occidentale irresponsable et totalement faussaire contre la Russie et le gouvernement russe dégénère, la guerre peut éclater.

Il est clair que Washington et ses États vassaux ont évité la diplomatie et ont recouru en lieu et place à la diabolisation et à des tentatives de coercition pour forcer la Russie à satisfaire les demandes de l’Empire.

Cette politique irresponsable se poursuit malgré les nombreux avertissements du gouvernement russe à l’Occident de ne pas poser d’ultimatum à la Russie. Comme les empires se caractérisent par l’arrogance et l’hybris, l’Empire n’entend pas les avertissements.

Nous avons récemment eu des menaces britanniques contre la Russie de la part du Premier ministre marionnette de Washington à Londres, en dépit du fait que le Royaume-Uni ne peut engager aucune force contre la Russie et peut être détruit en quelques minutes par celle-ci. Cette sorte d’insanité est ce qui mène à la guerre. Le Premier ministre britannique est cinglé, il pense qu’il peut défier la Russie.

Washington prépare l’Armageddon. Mais la Grèce peut nous sauver. Tout ce que le peuple a à faire est de soutenir son gouvernement et d’insister pour que ce gouvernement, le premier depuis longtemps à représenter les intérêts du peuple grec, envoie l’UE corrompue au diable, fasse défaut sur la dette et se tourne vers la Russie.

Cela serait le début de la fin de l’UE et de l’Otan et cela sauverait le monde de l’Armageddon.

Très probablement, l’Italie et l’Espagne suivraient la Grèce et sortiraient de l’UE et de l’Otan, puisque ces pays sont aussi visés par un pillage sans merci. L’UE et l’Otan, les supplétifs utilisés par Washington pour créer un conflit avec la Russie, se déliteraient. Le monde serait sauvé et devrait son salut à la capacité des Grecs à réaliser ce qui est réellement en jeu. Exactement comme ils l’ont fait à Marathon, aux Thermopyles, à Platées et à Mycale.

Il est difficile d’imaginer un autre scénario qui nous sauverait de la Troisième Guerre mondiale. Prions pour que les Grecs comprennent la responsabilité qui est entre leurs mains, non seulement celle de la liberté mais aussi de la vie sur la terre.

Damien Millet «La Grèce ne doit pas plier»

« La Grèce est à un tournant », réagit Damien Millet, enseignant, porte-parole France du CADTM, à l’heure où les médias alertent sur un probable « défaut de paiement », faute d’accord avec les créanciers à quelques jours de l’échéance fatidique du 30 juin pour le remboursement de 1,6 milliard d’euros au FMI.

«On ne sait pas sur quoi cela va déboucher, mais une chose est sûre, le FMI et l’UE veulent à tout prix faire comme ils ont fait avant avec d’autres pays: tout bonnement contraindre la Grèce à plier devant leurs exigences, alors même que le gouvernement Tsipras a déjà beaucoup trop concédé. » Si accord il y a, il devra ensuite être ratifié par les Parlements. Ces tout derniers jours sont donc décisifs. Dès lors, il n’est pas surprenant que chacune des parties se livre jusqu’au bout « à un jeu de dupes, tente de faire prévaloir ses capacités de nuisance».

« Le FMI va à coup sûr intensifier la pression, voire rajouter des exigences. La Grèce va continuer à agiter le risque de défaut de paiement avec toutes les conséquences. » Cela étant, la balle est sans doute désormais dans son camp, mais non pas pour céder un peu plus aux pressions, comme l’aurait voulu Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. « Le FMI ne rompt jamais en réalité. C’est pourquoi la Grèce ne doit pas plier pour démontrer qu’une autre voie est possible en s’appuyant notamment sur les conclusions du rapport préliminaire d’audit de la dette qui tombe à point, le 18 juin, pour révéler le caractère illégitime de celle-ci », souhaite D. Millet.

Mais encore faut-il l’expression d’un soutien dans les autres pays d’Europe. L’alliance s’impose « de toutes les forces en opposition aux pratiques du FMI, de la Banque mondiale et de l’UE, affirme-t-il, car la situation de la Grèce met l’opinion européenne devant une alternative : l’espoir d’une rupture avec les politiques d’austérité ou le recul aux lourdes conséquences devant des cas similaires, demain en Espagne, par exemple, ou ailleurs ».

DES MÉDIAS À LA POINTE DE L’INTOX. La presse se déchaîne. Comme à son habitude, les chiens de garde du libéralisme et de l’ordre établi reprennent en chœur: « L’Europe ne doit pas céder. » Le « Grexit », même pas peur pour « le Figaro »: « La Grèce a déjà suffisamment roulé les Européens dans la farine pour qu’on ne lui délivre pas de nouveaux passe-droits. Ruinée du seul fait de son incurie et sauvée au prix d’un effort sans précédent de toute l’Europe, la voilà qui exige tour à tour un effacement de ses dettes. » Le journal belge « De Tijd » avance: « Tsipras doit faire un choix: être l’homme d’État qui sauve son pays, ou un quasi-communiste qui reste fidèle à ses principes mais qui plonge son pays un peu plus dans la misère ? » C’est vrai qu’en matière de misère les Grecs s’y connaissent. Ils peuvent témoigner des avancées sociales que la BCE, la Commission européenne et le FMI leur ont apportées: une production de richesse amputée d’un quart depuis 2010, 27 % de sa population active au chômage, 9 chômeurs sur 10 sans allocation, 2,5 millions de Grecs sous le seuil de pauvreté. Mais les Grecs devraient tout accepter.

Car « partout en Europe la patience » manquerait et « il y a le sentiment croissant que ça suffit! », estime le « Hessische Allgemeine Zeitung». Et pour les Grecs, les Espagnols, les Portugais, les Irlandais ? Leur « Ça suffit » qui rassemble des millions de gens dans la rue et dans les urnes contre les mesures imposées par les dirigeants européens est-il davantage entendu ? La palme revient au quotidien « Die Welt». Dans une formidable réécriture de l’histoire, il accuse la Grèce d’avoir déjà détruit l’ordre européen en 1830! Comment ? En obtenant son indépendance après quatre siècles de domination ottomane, ce qui a déclenché des soulèvements en France, en Italie et en Pologne. Faire tomber l’absolutisme, cet ordre honni par les peuples qui a duré jusqu’en 1848, quelle horreur. L’auteur va jusqu’à remettre en cause la présence de la Grèce dans l’Europe par sa composition ethnique.

Damien Millet 

Damien millet, enseignant, porte-parole france du cadtm (1).

Gabrielle Lefèvre – Traité transatlantique : une machine à exclusion sociale

L’économie n’est pas qu’une accumulation de chiffres, de statistiques, de diagrammes : ce sont des activités humaines basées sur des projets politiques et sociaux. C’est la manière de gérer la survie et le développement des populations, de gérer les biens communs de l’humanité, à commencer par les ressources naturelles de la Terre. Bref, c’est une question de civilisation, de conception de notre présence au monde et de notre responsabilité d’humains.

Or, est en route une énorme machine d’exclusion sociale contre laquelle la société civile se bat depuis des années.

Depuis la chute du Mur de Berlin, les gouvernements américains et les transnationales américaines et européennes les plus puissantes sont en contact avec les autorités européennes afin de favoriser au maximum les ententes commerciales bilatérales Europe-États-Unis. Le problème est que les préliminaires se sont passés exclusivement entre représentants américains et européens et plus de 70 firmes qui conseillent ces représentants. Citons : AIG, AT&T, BASF, BP, Deutsche Bank, EADS, ENI, Exxon Mobil, Ford, GE, IBM, Intel, Merck, Pfizer, Philip Morris, Siemens, Total, Verizon, Xerox. Les peuples des 27 Etats membres (à l’époque) de l’Union européenne ont été totalement mis à l’écart. De même que les organisations syndicales internationales qui ont été consultées sur le tard et sans avoir accès à tous les éléments d’information.

Source: Gabrielle Lefèvre – Médiapart

Depuis plus d’un an se poursuivent des négociations concrètes – mais toujours secrètes – sur un projet de Traité transatlantique. Ce secret est une insulte aux structures sociales, juridiques et démocratiques qui ont donné un caractère social à l’Europe. Je parle de cette Europe que nos parents ont voulu créer après la deuxième guerre mondiale et dans laquelle beaucoup de citoyens ont cru ; pas de cette Europe du néo-libéralisme et de sa religion du « tout au marché » que prônent les tenants inconditionnels du capitalisme débridé, celui de l’ultralibéralisme et de la primauté des mécanismes de la financiarisation de nos économies.

Que signifieront encore les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité dans un tel système? L’Europe que nous voulons ? Qui est ce « nous » ? Ce sont des centaines de milliers de citoyens qui se battent contre la mainmise des lobbies et notamment ceux des multinationales qui négocient discrètement avec de hauts fonctionnaires européens et étatsuniens les divers termes de ce projet d’accord transatlantique.

– Quel projet ? Le 14 juin 2013, les 28 gouvernements de l’Union européenne ont demandé à la Commission européenne de négocier avec les États-Unis la création d’un Grand Marché Transatlantique (GMT). Ce projet s’appelle « Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement » (TTIP en anglais). Derrière ces mots anodins se cache « la plus grande menace non militaire jamais lancée contre les peuples d’Europe », avertit Raoul Marc Jennar, politologue et ancien consultant en relations internationales… Cette menace est imminente car les négociations doivent aboutir en 2015… Cette année donc.

– De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’appliquer complètement les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui visent à éliminer tous les obstacles à la libre concurrence. Dans la littérature de l’OMC, les obstacles sont constitués par tout ce que le secteur privé considère, dans les Constitutions, les lois, les règlementations et les procédures administratives, comme « une discrimination à la concurrence » ou comme une disposition « plus rigoureuse que nécessaire ». Et l’article 3 du mandat de négociations du GMT réclame un « haut niveau d’ambition d’aller au-delà des engagements actuels de l’OMC ».

Trois objectifs :

1. Tout d’abord, éliminer au maximum les droits de douane entre Union européenne et USA. C’est déjà presque fait, sauf dans l’agriculture où ils demeurent élevés.

2. Ensuite, réduire, voire éliminer ce qu’on appelle, dans le jargon, les barrières non tarifaires. C’est-à-dire, le démantèlement complet de l’appareil législatif et réglementaire des 28 États de l’UE chaque fois qu’une norme est considérée comme un obstacle excessif à la libre concurrence. Et cela vise aussi bien les normes sociales, alimentaires, sanitaires, phytosanitaires, environnementales, culturelles que les normes techniques.

3. Enfin, permettre aux firmes privées d’attaquer les législations et les réglementations des États quand ces firmes considèrent qu’il s’agit d’obstacles inutiles à la concurrence, à l’accès aux marchés publics, à l’investissement et aux activités de service. Elles pourront le faire, non plus devant les juridictions nationales, mais devant des groupes d’arbitrage privés, ce qui aura pour conséquence que les juridictions officielles (tribunaux, Conseil d’État, Conseil Constitutionnel) seront dépouillés de toute compétence dès qu’une firme privée sera plaignante. Si ce projet est adopté, ce sont les firmes privées qui définiront progressivement les normes de la vie en société.

On appelle cela : le règlement des différends. Ou ISDS en anglais.

Un exemple si on accepte ce GMT : une université américaine veut entrer sur le désormais « marché de l’éducation » en Belgique. Celle-ci revendique les mêmes subventions que les universités d’ici, au motif d’entrave à la libre concurrence. Impayable évidemment ! Obligé d’obéir aux règles du Grand Marché Transatlantique, le pays devra supprimer ses aides aux universités sous peine de payer des amendes effroyables aux candidats américains qui menacent d’un règlement arbitral de ce différend.

Comment cela va-t-il se passer concrètement?

Lorsque qu’une firme privée considère que des normes sociales ou environnementales adoptées par les pouvoirs publics, au niveau national, régional, départemental ou local, sont plus rigoureuses qu’il est nécessaire à leurs yeux ou constituent une entrave à la libre concurrence, l’article 32 du mandat de négociation instaure ce mécanisme de règlement des différends. La firme peut alors introduire une action contre le pouvoir public concerné. L’article 45 crée un mécanisme identique pour toutes les dispositions de l’accord en négociation. Le mécanisme de règlement des différends est une structure privée d’arbitrage constituée au cas par cas, dont les arbitres ne sont pas des magistrats professionnels, mais des personnes privées désignées par les parties ; les débats ne sont ni contradictoires, ni publics. Il n’y a pas de procédure d’appel. Ce mécanisme ne peut en aucune façon être assimilé à un tribunal. Le modèle le plus connu en France est le groupe d’arbitrage créé pour le différend entre Tapie et l’État. On a vu ce que cela a donné !

Vous doutez ? Il y a 20 ans, deux pays ont signé leur propre accord de grand marché avec les États-Unis : le Canada et le Mexique. Il s’agit de l’ALENA (Accord de Libre-Echange Nord-Américain). Le Canada a été attaqué 35 fois par des firmes privées américaines. Dans la majorité des cas, ces firmes contestaient des mesures introduites au niveau fédéral, provincial ou municipal en vue de protéger la santé publique ou l’environnement ou pour promouvoir des énergies alternatives. Le Canada et le Mexique ont perdu toutes les plaintes déposées par les firmes étasuniennes. Mais aucune des plaintes déposées contre les États-Unis par des firmes canadiennes et mexicaines n’ont abouti. En tout, le Canada a déjà dû débourser des dommages et intérêts de plus de 171,5 millions de dollars canadiens. A l’heure actuelle, des investisseurs américains réclament plusieurs milliards de dollars au gouvernement canadien.

Un exemple ? La firme chimique américaine Ethyl a poursuivi le Canada pour une loi de 1997 interdisant un additif qui rend le diesel plus performant. Cet additif contient du manganèse qui est neurotoxique. Le Canada a du payer 13 millions de $ de compensations à Ethyl et abroger sa loi !

Malgré ces précédents, l’Union européenne a conclu avec le Canada, le 26 septembre 2014, un accord d’intégration économique de large portée (Accord AECG)… prévoyant un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, semblable à celui du GMT ! Du coup, la contestation européenne exige l’annulation de cet accord, en plus de l’arrêt des négociations sur le GMT.

Principale cible : l’agriculture.

Les domaines concernés par le projet de TTIP sont nombreux. On pourrait évoquer la finance, la santé, la sécurité sociale, l’éducation. Mais cela mériterait un livre entier. J’ai choisi le thème qui nous concerne le plus intimement : la nourriture.

Imaginez un repas absurde avec du bœuf aux hormones, du poulet lavé au chlore, du maïs transgénique, du chocolat sans graine de cacao… qui ont inondé nos grands magasins. Imaginez des campagnes saccagées par d’immenses exploitations agricoles, industrialisées, « pesticisées », rentables à mort dans une vaine tentative d’empêcher l’envahissement de nos pays par les produits agricoles étatsuniens – délivrés des droits de douane européens – mais toujours subventionnés par le gouvernement étatsunien. Fini donc le panier du pays, le circuit court entre paysans et consommateurs, à la poubelle de l’histoire l’agriculture biologique. Imaginez le triomphe ricanant de Monsanto qui répand ses semences trafiquées, seules autorisées par les firmes multinationales et la commission européenne. Tant pis pour les abeilles !

Comment cela va-t-il se passer ? Actuellement, les droits de douanes sont très réduits dans quantité de secteurs commerciaux. Heureusement, ils sont restés importants dans le domaine des produits issus de l’agriculture : les viandes, les poissons, les dérivés du lait, les œufs, les céréales, les oléagineux, le cacao, le café, le thé, les épices, les fruits et légumes, les produits de la minoterie, le sucre, les boissons.

L’agroéconomiste Jacques Berthelot a procédé à une analyse minutieuse[i], produit par produit, des conséquences d’une élimination même progressive des droits de douane européens sur les produits agricoles importés des USA. A ces conséquences directes, il faut ajouter qu’en vertu du principe de l’OMC du traitement de la nation la plus favorisée, si l’Europe élimine les droits de douane pour les produits agricoles étatsuniens, elle devra le faire pour les produits agricoles de tous les pays membres de l’OMC. Le marché européen deviendra alors le marché le plus ouvert du monde.

Conclusion de Berthelot : cet abaissement « remettrait totalement en cause l’objectif de faire évoluer l’agriculture européenne vers des modèles plus durables – aux plans économique, social et environnemental – , il accélérerait le processus de concentration des exploitations pour maintenir une compétitivité minimale, réduirait drastiquement le nombre d’actifs agricoles, augmenterait fortement le chômage, la désertification des campagnes profondes, la dégradation de l’environnement et de la biodiversité et mettrait fin à l’objectif d’instaurer des circuits courts entre producteurs et consommateurs. »

Outre les droits de douane, quel est l’enjeu majeur des négociateurs ?

Abattre les normes pour imposer la bio-piraterie et la dérégulation sanitaire, alimentaire et phytosanitaire. L’article 28 du mandat appelle en effet à un renforcement des droits de propriété intellectuelle tels qu’ils sont déjà amplement consacrés par l’accord de l’OMC. On sait que c’est par une extension de ces droits que l’agrobusiness s’emploie à s’assurer le contrôle de toute la chaîne alimentaire, de la semence à l’assiette, à imposer ses propres semences, à breveter le vivant végétal (nutritif ou curatif) et animal et, de la sorte, à privatiser le patrimoine de l’humanité. On sait aussi que c’est l’usage abusif de ces droits par les multinationales pharmaceutiques, soutenues par des gouvernements occidentaux, qui réduit de plus en plus l’accès aux médicaments essentiels pour les populations en situation précaire. Je vous recommande de lire à ce sujet le dernier rapport d’Oxfam titré : « Insatiable richesse : toujours plus pour ceux qui ont déjà tout » où l’on détaille comment les entreprises dépensent des millions de dollars en lobbying afin de protéger et renforcer leurs intérêts.

Les USA et l’UE ont des manières très différentes de protéger la santé des consommateurs. Aux USA, dont le gouvernement n’est pas chargé de l’intérêt général, c’est par les voies de recours aux tribunaux que les consommateurs peuvent agir à posteriori. Dans les États européens, c’est par l’établissement de normes que cette protection est assurée.

Autrement dit, aux USA, tant qu’il n’a pas été prouvé scientifiquement qu’un produit est nocif, il est libre d’accès. En Europe, tant qu’on n’a pas prouvé que le produit est sain, il est interdit d’accès. Deux conceptions du risque radicalement opposées.

En Europe, des normes en matière d’alimentation et de santé, ainsi qu’en matière phytosanitaire (santé des plantes) protègent plus ou moins les populations. Le texte du mandat des négociateurs annonce que l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires de l’OMC ainsi que l’accord vétérinaire bilatéral USA-UE vont servir de base pour aller plus loin. Mais dans quel sens ? Certainement pas vers plus de protection, puisque les entreprises américaines contestent le bien fondé scientifique des normes sanitaires européennes et font pression sur le gouvernement US pour obtenir leur abrogation à travers cet accord transatlantique.

Les refus européens des OGM, celui du bœuf traité aux hormones de croissance, des poulets chlorés, des carcasses traitées à l’acide lactique, des porcs traités à la ractopamine (additif chimique qui rend la viande plus maigre, interdit dans 150 États) sont considérés, aux USA, comme des barrières protectionnistes dépourvues de pertinence scientifique. Les négociateurs américains n’accepteront jamais le « droit pour les Parties à évaluer et gérer les risques en conformité avec le niveau de protection que chaque Partie juge approprié, en particulier lorsque les preuves scientifiques sont insuffisantes » demandé par le mandat(article 25). D’ailleurs, l’article 45 de celui-ci prévoit que les firmes privées auront le droit de contester toutes les normes (sociales, sanitaires, environnementales, …) devant ce fameux mécanisme de règlement des différends.

Que nous rapporterait le GMT?

Les autorités européennes s’évertuent à nous faire croire que ce grand marché aurait de magnifiques répercussions sur notre commerce et donc des retombées financières et en terme d’emplois dans nos pays. Et pourtant, un rapport issu du Centre européen d’économie politique internationale (European Centre for International Political Economy, Ecipe), affirme que le GMT procurera à la population du marché transatlantique un surcroît de richesse de 3 centimes par tête et par jour… à partir de 2029 (14). La même étude évalue à 0,06 % seulement la hausse du produit intérieur but (PIB) en Europe et aux États-Unis. Par comparaison, la cinquième version de l’iPhone d’Apple a entraîné aux États-Unis une hausse du PIB huit fois plus importante !

Par contre, il est impossible de chiffrer le risque que nous ferait courir les milliers d’entreprises qui utiliseraient contre nos États le mécanisme de règlement des différends. Quatorze mille quatre cents compagnies américaines disposent en Europe d’un réseau de cinquante mille huit cents filiales qui pourraient se jeter dans la chasse aux trésors publics. Ce serait la faillite assurée de nos finances nationales.

Les rapaces ne sont pas uniquement américains ! Rappelons que le fournisseur d’électricité suédois Vattenfall réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son « tournant énergétique », qui encadre plus sévèrement les centrales à charbon et promet une sortie du nucléaire !

Et que la française Veolia, qui traite les déchets d’Alexandrie, a attaqué l’Égypte pour une atteinte insupportable à ses intérêts parce que le gouvernement a accepté une augmentation de salaire minimum des travailleurs – de 41 à 72 euros par mois -…

La réaction citoyenne est européenne

Comment réagir ? D’abord, en brisant le secret. La mobilisation des citoyens européens a été entendue par la Cour de Justice Européenne qui a décidé en juillet 2014 que les documents portant sur des négociations internationales ne doivent pas être « systématiquement » confidentiels.

Tiens, à ce propos, curieuse coïncidence, la Commission européenne a dévoilé le 28 novembre 2013 une proposition de directive relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites. Tout n’est pas nécessairement mauvais dans ce projet mais il a une conséquence très claire : les lanceurs d’alertes comme ceux qui ont révélé Luxleaks ou HSBC et bien d’autres affaires risquent d’être poursuivis et condamnés. « En effet, la notion de secret des affaires consacre le fait que le droit des actionnaires prime sur celui des salariés et de la société tout entière et remet directement en cause le droit d’intervention des organisations syndicales, la reconnaissance récente et fragile des lanceurs d’alerte et la liberté de la presse », annonce une série d’associations françaises regroupées sous les sigles « stop trade secret » et « we are the leaks ».

Ce projet de directive est mis à l’ordre du jour du Parlement européen le 28 avril ; une campagne est donc lancée visant à obtenir un vrai statut des lanceurs d’alerte, à renforcer le droit d’intervention des organisations syndicales et des institutions représentatives du personnel, et à garantir la responsabilité des multinationales.

Le secret des négociations sur le GMT doit cesser. Le débat doit être porté devant les parlements, au vu et au su de tous. Heureusement, les pouvoirs locaux peuvent refuser d’entériner le futur accord transatlantique. De nombreux appels sont lancés sur internet pour que les citoyens des divers pays européens interpellent leurs élus afin de s’engager à ce sujet.

En Belgique, la campagne No-Transat a été lancée il y a quatre ans déjà par des militants de la FGTB, rejoints par la CSC et de nombreux groupes citoyens. 74.550 citoyens belges ont déjà signé leur adhésion. Une pétition européenne a recueilli, elle, plus d’un million 475 mille signatures. Malgré cela, elle n’a pas été reconnue comme « Initiative citoyenne » à part entière par la Commission européenne ancienne. Il faut dire que le commissaire chargé à l’époque du commerce, Karel De Gucht, est un fervent partisan du GMT.

En France, une vingtaine de villes et communautés territoriales ont déclaré leur opposition au GMT. En Belgique, la Ville de Bruxelles a adopté le 22 janvier 2015 une résolution en ce sens. D’autres communes belges ont effectué la même démarche. Le mouvement s’étend dans divers pays européens.

Cependant, l’actualité politique est paradoxale. D’une part, le nouveau parlement européen vient d’organiser un débat portant notamment sur la clause des Règlement des Différends Investisseurs-États (RDIE), qui a essuyé récemment de vives critiques de la part des gouvernements allemands et français. Mais ces trois derniers jours, on apprenait que la France faisait marche arrière à ce sujet ! Motif ? Mieux vaut une cour d’arbitrage qu’une juridiction inféodée au pouvoir… Et l’on pense ici à la Chine. L’Allemagne reste toujours vigoureusement contre. L’arrivé au pouvoir de Syriza en Grèce pourrait également rebattre les cartes des soutiens gouvernementaux aux accords de « libre-échange ».

Partout, des citoyens se groupent, contestent, pétitionnent, boycottent. Ils veulent une éthique de l’économie. Ils veulent une responsabilisation morale des multinationales. Les journaux, les grands médias répercutent de plus en plus cette question.

Malgré cela, notre gouvernement fédéral a affirmé, le 5 février 2015, sa volonté de conclure au plus tôt les dizaines de traités internationaux dans le cadre de l’Union économique belgo-luxembourgeoise, toujours en attente de signature. Tous contiennent une clause d’arbitrage « investisseurs-contre-Etats » similaire à celle prévue dans le projet de traité transatlantique.

Notre gouvernement oublie que nous avons une affaire pendante avec la Chine à la suite d’un accord semblable : en 2012, l’assureur chinois Ping An a entamé un arbitrage contre la Belgique, sur base de l’accord bilatéral d’investissement UEBL-Chine, demandant compensation pour une perte qu’il estime à 2,8 milliards d’Euros dans le cadre du rachat de la banque Fortis. Une sentence pourrait donc être rendue dans les prochaines années par trois arbitres privés condamnant la Belgique à plusieurs milliards d’euros de compensation, sans aucun recours possible, contre une décision prise par un gouvernement démocratiquement élu.

Mais que font nos parlementaires ?

Pouvons-nous rêver d’une éthique mondiale ?

Malgré les atermoiements politiques, la lutte continue. Elle dépasse le clivage gauche-droite. Elle inclut les débats sociétaux, écologiques, de droit international, d’éthique des affaires.

De plus en plus de citoyens interpellent leurs élus, refusent qu’on leur impose des règles contraires aux valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité. Ils veulent le maintien des valeurs de solidarité, des Etats garants de la démocratie, de la sécurité sociale, de dialogue social par le biais des syndicats notamment. Ils rêvent d’un tribunal pénal international pour les multinationales les plus criminelles, celles qui volent les terres, les biens communs, les richesses de la nature et surtout, celles qui violent les droits les plus élémentaires des populations locales, des travailleurs… et qui viennent ensuite tranquillement négocier avec nous une extension de leur énorme pouvoir.

S’ils respectent ces valeurs et ces règles exigées par les citoyens, les pouvoirs démocratiques pourront faire respecter le droit international, les règles de sécurité alimentaires et médicales les plus strictes. La création intellectuelle, artistique et scientifique autant que technique, pourra être protégée et financée par les Etats. L’environnement sera protégé afin que nous puissions produire des aliments sains en suffisance pour nourrir une humanité en croissance. C’est possible, mais seule une régulation par les pouvoirs publics peut obtenir de tels résultats et pas le dit « libre marché » qui sert avant tout les intérêts d’une minorité de riches.

Oui, il est permis de rêver de pouvoirs publics, émanations des peuples informés, éclairés, solidaires. Nous pouvons mettre en pratique cet humanisme héritier des Lumières où de plus en plus de citoyens utilisent les leviers de la démocratie pour protéger le bien commun.

Notes :

http://www.jennar.fr/

www.gmtpourleretraitdelafrance.fr

http://www.collectifstoptafta.org/collectifs-locaux/

http://www.no-transat.be/

http://www.altersummit.eu/alter-sommet/article/appel-a-un-sommet-alternatif?lang=en

http://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/

– « Europe, une biographie non autorisée. De la « paix américaine » à la « civilisation poubelle », 580 pages chez Aden, pour 30 €.

Le Monde diplomatique daté juin 2014 comprend un dossier de huit pages sur le Grand marché transatlantique (GMT).

http://www.euractiv.fr/sections/euro-finances/les-documents-du-ttip-peuvent-etre-publies-selon-la-cour-de-justice

– « Les usurpateurs- Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir », Susan George, Seuil, 2015.

http://www.cncd.be/Le-gouvernement-Michel-sous-traite

http://www.cncd.be/L-arbitrage-investisseur-Etat-un

– Transatlantique arnaque – La casse du siècle: https://www.youtube.com/watch?v=LjftFgq_Ltg

– BERTHELOT Jacques, La folie d’intégrer l’agriculture dans un accord de libre-échange UE-USA, 15 août 2013 (jacques.berthelot4@wanadoo.fr).

NEW WORLD: OTAN, QE, Syriza, Ukraine, Israël : Les autoroutes vers le « monde de demain » sont en vue

La terrible crise ukrainienne de 2014 doit être comprise comme une limite infranchissable au-delà de laquelle le « monde d’avant » disparaît quoi qu’il arrive. Il disparaîtra dans le chaos et la radicalisation d’un système qui, ce faisant, cessera d’être lui-même, ou bien il disparaîtra en s’ouvrant aux nouvelles caractéristiques du « monde d’après ». Toute la question est là, simplement résumable à ceci : la guerre ou la paix ? Mais dans tous les cas, le monde d’avant, c’est fini !

Et le fait est que dès que la poussière des combats retombe un peu, on commence enfin à pouvoir apercevoir au loin les paysages du monde de demain et les chemins qui y mènent et répètent parfois l’aspect de véritables autoroutes. Même si notre équipe reste très inquiète sur les obstacles qui peuvent continuer à surgir sur ces chemins, nous estimons que la révélation progressive des paysages d’avenir est une bonne chose. En effet, les grands drames de l’Histoire arrivent souvent lorsque les peuples ou les systèmes ne voient plus d’issue à leurs difficultés.

Ainsi, dans ce numéro, au risque de paraître gravement naïfs, notre équipe a décidé de se concentrer sur ces voies d’avenir qui apparaissent au loin. L’anticipation politique a aussi pour objet de dédramatiser l’avenir. Sans compter que le combat dans lequel nous sommes engagés, et dont la crise ukrainienne est la plus emblématique concrétisation, n’oppose en fait que les forces souhaitant s’engager sur ces voies d’avenir et celles les empêchant.

Notre équipe a choisi de rendre publique la partie de ce numéro du GEAB consacrée à l’analyse de la victoire de Syriza aux législatives grecques.


Syriza : catalyseur de la réforme politico-institutionnelle de l’Europe

Nous avons déjà évoqué le très grand changement que représente l’arrivée de Jean-Claude Juncker à la tête d’une Commission qu’il appelle lui-même celle « de la dernière chance »1, exprimant clairement l’idée qu’en cas d’échec de connexion de l’institution avec les citoyens européens (ou « démocratisation »), c’est le projet de construction européenne tel que voulu par les pères fondateurs2 dans son ensemble qui échouera.

Se combine désormais à cette volonté politique au plus haut de l’édifice européen, celle résultant de l’élection d’un parti non-institutionnel en Grèce, Syriza3, sur la base d’un mandat clair : remettre les institutions européennes au service de l’intérêt des citoyens grecs, intérêt dont on voit déjà à quel point il se recoupe avec celui des citoyens de tous les pays confrontés à l’austérité, Espagne et Portugal au premier plan, mais bien au-delà. Le sentiment de non maîtrise des outils de résolution de crise par tous les citoyens de la zone euro se fait peu à peu jour, et Alexis Tsipras représente clairement un espoir politique pour des segments entiers de citoyens dans toute la zone euro4.

L’arrivée de Syriza, tel un chien dans un jeu de quilles, dans l’ambiance feutrée du système politico-institutionnel européen, est un véritable catalyseur de réforme. Et le fait est que si le système communautaire a appréhendé l’élection de Tsipras (avec, par exemple, les menaces par Angela Merkel d’exclusion de la Grèce de la zone euro5), on ne peut qu’être surpris de l’accueil qui lui est pour le moment réservé6. C’est qu’il semble en fait capable d’enclencher un changement que toutes les catégories d’acteurs européens attendent désormais :

. au printemps 2014, le programme de campagne de Jean-Claude Juncker comportait une proposition portant sur la nécessité de « remplacer la troïka par une structure plus légitimement démocratique et plus comptable de ses actes, basée autour des institutions européennes, avec un contrôle parlementaire renforcé, tant au niveau européen que national ». Mais y serait-il parvenu du haut de la Commission européenne ? Probablement pas. Tsipras arrive donc tel un sauveur, rendant enfin possible la réforme du mécanisme de gestion de la crise et de gouvernance de la zone euro7 ;

. nous avons parlé de Draghi et de son appel voilé pour un mandat reconnecté à la réalité de la crise plutôt qu’à l’application de traités obsolètes ;

. le grand dysfonctionnement bureaucratique européen de ces derniers mois, jugé être le fruit des limites atteintes par la méthode dite « intergouvernementale »8, met également d’accord les fonctionnaires avec Tsipras, susceptible de redonner une direction politique à leur édifice institutionnel ;

. les limites également atteintes par un système financier gavé de liquidités, mais incapable de les injecter dans une économie à l’arrêt, lui permettent de voir d’un bon œil l’opportunité incarnée par Tsipras9 de relance des investissements publics qu’il a lui-même contribué à arrêter en professant l’ultralibéralisme ;

. les politiques nationaux, bloqués dans des gouvernements technocratiques ou d’union nationale depuis six ans, reprennent vie comme on le voit avec le deuxième « coup d’État » politique de Matteo Renzi, mettant fin à l’alliance avec Silvio Berlusconi en renforçant son camp politique par la nomination d’un chef de l’État socialiste10 ;

. et bien entendu, les citoyens qui entendent enfin parler d’une Europe qui débat, réfléchit, cherche des solutions et parle une langue cette fois compréhensible en lieu et place des incessants borborygmes technocratico-financiers auxquels ils ont eu droit jusqu’à présent.

Le seul problème, ce sont encore une fois les médias… Non pas qu’ils soient aussi remontés qu’on aurait pu le craindre contre Syriza, mais plutôt parce qu’ils ont une compréhension extrêmement limitée de l’ampleur des enjeux des négociations en cours entre la Grèce et le reste de la zone euro et de la complexité du projet de réforme qui se noue entre tous ces acteurs (BCE, Eurozone, Grèce, Commission européenne, gouvernements nationaux).

La seule lecture à laquelle nous avons donc droit consiste à deviner si ce qu’il se passe nous rapproche ou nous éloigne d’une rupture de la zone euro. Or, nous le répétons une fois encore : il n’y aura pas de rupture de la zone euro ! Pas de Grexit (ni de Brexit probablement d’ailleurs, aussi11) : nous nous sommes tous embarqués dans un bateau qui peut aller loin du moment qu’on se donne les moyens d’en occuper la cabine de pilotage. L’Histoire n’a pas été dotée d’une touche Rewind à laquelle seuls les idéologues et les démagogues tentent de faire croire leurs ouailles : le bateau a quitté la rive, et ceux qui en descendront se noieront et feront chavirer les autres12.

Le processus enclenché par Tsipras n’est ni plus ni moins celui d’un changement complet du mode de fonctionnement de la zone euro. Le système de la troïka (FMI, BCE, Commission) a été révoqué, Tsipras exige de négocier avec les représentants élus de la zone euro13, un nouveau mécanisme de gouvernance plus légitime de la zone euro va devoir être inventé, en plus des solutions propres à la crise grecque. De tels objectifs ne risquent pas d’être résolus en un tournemain, pas plus que la paix en Ukraine et entre l’Europe et la Russie. Nous assistons à l’accouchement lent et douloureux de l’Europe et du monde de demain, avec tous les risques qu’un accouchement non médicalisé (faute de toute anticipation) comporte.

Les principaux obstacles à la négociation sont essentiellement les suivants : la BCE, qui n’a bien évidemment pas mandat à accéder à la requête d’un seul État et attend donc une décision collégiale de la part de l’ensemble de la zone euro ; l’Allemagne qui perd la domination – toute relative, d’ailleurs – qu’elle avait de la gestion de la zone euro (sachant que cette position dominante l’embarrassait plutôt qu’autre chose et qu’elle l’abandonnera avec plaisir du moment que le prochain mécanisme la rassure) ; l’incapacité structurelle du carcan politico-institutionnel actuel à la moindre réforme (qui obligera à aller jusqu’à la rupture) ; l’influence d’innombrables agendas cachés qui y perdront forcément dans le cadre d’une mise sous contrôle politique du système actuel14.

En ce qui concerne les Allemands, tout comme les Français l’ont prouvé dans un récent sondage15, et bien plus que Merkel ne l’imagine, ils sont certainement faciles à convaincre de la mise en place d’un système de solidarité pour sortir la Grèce de l’ornière, conscients qu’ils sont que la résolution de la crise grecque ne serait pas une bonne nouvelle seulement pour les Grecs. C’est d’ailleurs cette zone euro là qu’il s’agit d’inventer : un vrai Euroland fondé sur la solidarité et les logiques gagnant-gagnant.

Il est une chose qui n’est pas beaucoup commentée dans la victoire de Syriza. Là où nos médias passent leur temps à analyser que les problèmes économiques traversés depuis six ans par la zone euro vont faire monter l’extrémisme politique, la xénophobie, le rejet de l’Europe et de la démocratie, on voit avec Syriza et Podemos, par exemple, que les opinions publiques européennes tiennent remarquablement bien le choc, se refusant dans la mesure du possible à opter pour les solutions radicales16 et se ruant en revanche sur tout ce qui semble représenter une alternative, certes, mais raisonnable avant tout. Notre équipe met cette grande fiabilité collective des peuples européens sur le compte du désenclavement idéologique permis par Internet et l’accès « désintermédié » à l’information. Ni les politiques, ni les médias ne peuvent plus prendre en otages les opinions publiques interconnectées17.

Source: http://geab.eu/otan-qe-syriza-ukraine-israel-les-autoroutes/

—————————————————————————————–

1 Source : Euractiv, 22/10/2014.

2 Soit, suivant des principes de communauté d’États, des objectifs de paix et de prospérité partagées et au moyen d’une gouvernance démocratique.

3 Source : BBC, 25/01/2015.

4 Source : Euractiv, 04/02/2015.

5 Source : Le Figaro, 04/01/2015.

6 L’année 2014 a appris la prudence à notre équipe qui sait désormais que les bonnes nouvelles provoquent des irruptions brutales de mauvaises nouvelles. En ce qui concerne Syriza, nous nous concentrons dans le présent numéro sur le potentiel de sortie de crise que son élection véhicule. Mais nous sommes parfaitement lucides sur les tentatives que certains intérêts obscurs ou réflexes bureaucratiques pourraient susciter afin de bloquer les développements qui se mettent en place. Cela va de l’incapacité du système à accéder aux demandes de Tsipras à des risques de tentative de déstabilisation du pays. Source : Club Newropeans, 04/02/2015.

7 Source : Le Monde, 02/02/2015.

8 « Nous sommes tués par l’intergouvernementalisme », nous disait récemment un responsable de la zone euro. La « méthode intergouvernementale » fait référence à ce système de prise de décision à 28 sur des logiques d’intérêts nationaux, qui s’oppose à la « méthode communautaire » qui placerait la prise de décision aux mains du seul niveau européen, les deux méthodes espérant faire l’économie de la démocratie qui consisterait à fonder le système décisionnel européen dans la volonté des peuples européens.

9 C’est ainsi que la Banque d’Angleterre évoque la nécessité de sortir de la politique d’austérité quelques jours après l’élection de Tsipras. Source : The Guardian, 28/01/2015.

10 Source : Bloomberg, 30/01/2015.

11 Contrairement là encore à ce que les médias comprennent, un référendum britannique sur une sortie de l’UE se conclura par un refus (des sondages l’ont déjà montré) et tout le levier de chantage britannique sur l’UE prendra fin. Source : EUObserver, 23/10/2014.

12 La perspective de sortie de l’euro est un levier de négociation plutôt qu’autre chose. Quand on voit à quel point le système politique, institutionnel et financier européen vit dans la terreur de la moindre décision susceptible de faire baisser les bourses, on ne les imagine vraiment pas excluant l’un de ses membres ! La bonne nouvelle, c’est qu’ils vont donc devoir trouver un accord.

13 Source : BBC, 30/01/2015.

14 Mais sur ce dernier point, nous avons déjà fait remarquer qu’un système institutionnel qui dysfonctionne ne peut même plus servir les lobbies. L’enjeu devient dès lors commun de relancer la machine.

15 « Seules 15% des personnes interrogées se montrent favorables à un maintien de la dette grecque et des échéances de remboursement actuelles ». Source : Les Echos, 04/02/2015.

16 En dehors des inévitables minorités et des effets liés à l’absence d’alternative entre partis institutionnels et partis extrémistes… En France ou en Angleterre, par exemple.

17 On l’a vu aussi dans la couverture médiatique occidentale de la crise ukrainienne, très peu objective et extrêmement va-t-en-guerre, qui a laissé les populations pour le moins sceptiques.

OTAN, QE, Syriza, Ukraine, Israël : Les autoroutes vers le « monde de demain » sont en vue

La terrible crise ukrainienne de 2014 doit être comprise comme une limite infranchissable au-delà de laquelle le « monde d’avant » disparaît quoi qu’il arrive. Il disparaîtra dans le chaos et la radicalisation d’un système qui, ce faisant, cessera d’être lui-même, ou bien il disparaîtra en s’ouvrant aux nouvelles caractéristiques du « monde d’après ». Toute la question est là, simplement résumable à ceci : la guerre ou la paix ? Mais dans tous les cas, le monde d’avant, c’est fini !

Source: http://geab.eu/otan-qe-syriza-ukraine-israel-les-autoroutes/

Et le fait est que dès que la poussière des combats retombe un peu, on commence enfin à pouvoir apercevoir au loin les paysages du monde de demain et les chemins qui y mènent et répètent parfois l’aspect de véritables autoroutes. Même si notre équipe reste très inquiète sur les obstacles qui peuvent continuer à surgir sur ces chemins, nous estimons que la révélation progressive des paysages d’avenir est une bonne chose. En effet, les grands drames de l’Histoire arrivent souvent lorsque les peuples ou les systèmes ne voient plus d’issue à leurs difficultés.

Ainsi, dans ce numéro, au risque de paraître gravement naïfs, notre équipe a décidé de se concentrer sur ces voies d’avenir qui apparaissent au loin. L’anticipation politique a aussi pour objet de dédramatiser l’avenir. Sans compter que le combat dans lequel nous sommes engagés, et dont la crise ukrainienne est la plus emblématique concrétisation, n’oppose en fait que les forces souhaitant s’engager sur ces voies d’avenir et celles les empêchant.

Notre équipe a choisi de rendre publique la partie de ce numéro du GEAB consacrée à l’analyse de la victoire de Syriza aux législatives grecques.


Syriza : catalyseur de la réforme politico-institutionnelle de l’Europe

Nous avons déjà évoqué le très grand changement que représente l’arrivée de Jean-Claude Juncker à la tête d’une Commission qu’il appelle lui-même celle « de la dernière chance »1, exprimant clairement l’idée qu’en cas d’échec de connexion de l’institution avec les citoyens européens (ou « démocratisation »), c’est le projet de construction européenne tel que voulu par les pères fondateurs2 dans son ensemble qui échouera.

Se combine désormais à cette volonté politique au plus haut de l’édifice européen, celle résultant de l’élection d’un parti non-institutionnel en Grèce, Syriza3, sur la base d’un mandat clair : remettre les institutions européennes au service de l’intérêt des citoyens grecs, intérêt dont on voit déjà à quel point il se recoupe avec celui des citoyens de tous les pays confrontés à l’austérité, Espagne et Portugal au premier plan, mais bien au-delà. Le sentiment de non maîtrise des outils de résolution de crise par tous les citoyens de la zone euro se fait peu à peu jour, et Alexis Tsipras représente clairement un espoir politique pour des segments entiers de citoyens dans toute la zone euro4.

L’arrivée de Syriza, tel un chien dans un jeu de quilles, dans l’ambiance feutrée du système politico-institutionnel européen, est un véritable catalyseur de réforme. Et le fait est que si le système communautaire a appréhendé l’élection de Tsipras (avec, par exemple, les menaces par Angela Merkel d’exclusion de la Grèce de la zone euro5), on ne peut qu’être surpris de l’accueil qui lui est pour le moment réservé6. C’est qu’il semble en fait capable d’enclencher un changement que toutes les catégories d’acteurs européens attendent désormais :

. au printemps 2014, le programme de campagne de Jean-Claude Juncker comportait une proposition portant sur la nécessité de « remplacer la troïka par une structure plus légitimement démocratique et plus comptable de ses actes, basée autour des institutions européennes, avec un contrôle parlementaire renforcé, tant au niveau européen que national ». Mais y serait-il parvenu du haut de la Commission européenne ? Probablement pas. Tsipras arrive donc tel un sauveur, rendant enfin possible la réforme du mécanisme de gestion de la crise et de gouvernance de la zone euro7 ;

. nous avons parlé de Draghi et de son appel voilé pour un mandat reconnecté à la réalité de la crise plutôt qu’à l’application de traités obsolètes ;

. le grand dysfonctionnement bureaucratique européen de ces derniers mois, jugé être le fruit des limites atteintes par la méthode dite « intergouvernementale »8, met également d’accord les fonctionnaires avec Tsipras, susceptible de redonner une direction politique à leur édifice institutionnel ;

. les limites également atteintes par un système financier gavé de liquidités, mais incapable de les injecter dans une économie à l’arrêt, lui permettent de voir d’un bon œil l’opportunité incarnée par Tsipras9 de relance des investissements publics qu’il a lui-même contribué à arrêter en professant l’ultralibéralisme ;

. les politiques nationaux, bloqués dans des gouvernements technocratiques ou d’union nationale depuis six ans, reprennent vie comme on le voit avec le deuxième « coup d’État » politique de Matteo Renzi, mettant fin à l’alliance avec Silvio Berlusconi en renforçant son camp politique par la nomination d’un chef de l’État socialiste10 ;

. et bien entendu, les citoyens qui entendent enfin parler d’une Europe qui débat, réfléchit, cherche des solutions et parle une langue cette fois compréhensible en lieu et place des incessants borborygmes technocratico-financiers auxquels ils ont eu droit jusqu’à présent.

Le seul problème, ce sont encore une fois les médias… Non pas qu’ils soient aussi remontés qu’on aurait pu le craindre contre Syriza, mais plutôt parce qu’ils ont une compréhension extrêmement limitée de l’ampleur des enjeux des négociations en cours entre la Grèce et le reste de la zone euro et de la complexité du projet de réforme qui se noue entre tous ces acteurs (BCE, Eurozone, Grèce, Commission européenne, gouvernements nationaux).

La seule lecture à laquelle nous avons donc droit consiste à deviner si ce qu’il se passe nous rapproche ou nous éloigne d’une rupture de la zone euro. Or, nous le répétons une fois encore : il n’y aura pas de rupture de la zone euro ! Pas de Grexit (ni de Brexit probablement d’ailleurs, aussi11) : nous nous sommes tous embarqués dans un bateau qui peut aller loin du moment qu’on se donne les moyens d’en occuper la cabine de pilotage. L’Histoire n’a pas été dotée d’une touche Rewind à laquelle seuls les idéologues et les démagogues tentent de faire croire leurs ouailles : le bateau a quitté la rive, et ceux qui en descendront se noieront et feront chavirer les autres12.

Le processus enclenché par Tsipras n’est ni plus ni moins celui d’un changement complet du mode de fonctionnement de la zone euro. Le système de la troïka (FMI, BCE, Commission) a été révoqué, Tsipras exige de négocier avec les représentants élus de la zone euro13, un nouveau mécanisme de gouvernance plus légitime de la zone euro va devoir être inventé, en plus des solutions propres à la crise grecque. De tels objectifs ne risquent pas d’être résolus en un tournemain, pas plus que la paix en Ukraine et entre l’Europe et la Russie. Nous assistons à l’accouchement lent et douloureux de l’Europe et du monde de demain, avec tous les risques qu’un accouchement non médicalisé (faute de toute anticipation) comporte.

Les principaux obstacles à la négociation sont essentiellement les suivants : la BCE, qui n’a bien évidemment pas mandat à accéder à la requête d’un seul État et attend donc une décision collégiale de la part de l’ensemble de la zone euro ; l’Allemagne qui perd la domination – toute relative, d’ailleurs – qu’elle avait de la gestion de la zone euro (sachant que cette position dominante l’embarrassait plutôt qu’autre chose et qu’elle l’abandonnera avec plaisir du moment que le prochain mécanisme la rassure) ; l’incapacité structurelle du carcan politico-institutionnel actuel à la moindre réforme (qui obligera à aller jusqu’à la rupture) ; l’influence d’innombrables agendas cachés qui y perdront forcément dans le cadre d’une mise sous contrôle politique du système actuel14.

En ce qui concerne les Allemands, tout comme les Français l’ont prouvé dans un récent sondage15, et bien plus que Merkel ne l’imagine, ils sont certainement faciles à convaincre de la mise en place d’un système de solidarité pour sortir la Grèce de l’ornière, conscients qu’ils sont que la résolution de la crise grecque ne serait pas une bonne nouvelle seulement pour les Grecs. C’est d’ailleurs cette zone euro là qu’il s’agit d’inventer : un vrai Euroland fondé sur la solidarité et les logiques gagnant-gagnant.

Il est une chose qui n’est pas beaucoup commentée dans la victoire de Syriza. Là où nos médias passent leur temps à analyser que les problèmes économiques traversés depuis six ans par la zone euro vont faire monter l’extrémisme politique, la xénophobie, le rejet de l’Europe et de la démocratie, on voit avec Syriza et Podemos, par exemple, que les opinions publiques européennes tiennent remarquablement bien le choc, se refusant dans la mesure du possible à opter pour les solutions radicales16 et se ruant en revanche sur tout ce qui semble représenter une alternative, certes, mais raisonnable avant tout. Notre équipe met cette grande fiabilité collective des peuples européens sur le compte du désenclavement idéologique permis par Internet et l’accès « désintermédié » à l’information. Ni les politiques, ni les médias ne peuvent plus prendre en otages les opinions publiques interconnectées17.

C’est un fait que nous prendrons désormais en compte dans nos anticipations… Pour lire la suite de l’article, abonnez-vous au GEAB 

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1 Source : Euractiv, 22/10/2014.

2 Soit, suivant des principes de communauté d’États, des objectifs de paix et de prospérité partagées et au moyen d’une gouvernance démocratique.

3 Source : BBC, 25/01/2015.

4 Source : Euractiv, 04/02/2015.

5 Source : Le Figaro, 04/01/2015.

6 L’année 2014 a appris la prudence à notre équipe qui sait désormais que les bonnes nouvelles provoquent des irruptions brutales de mauvaises nouvelles. En ce qui concerne Syriza, nous nous concentrons dans le présent numéro sur le potentiel de sortie de crise que son élection véhicule. Mais nous sommes parfaitement lucides sur les tentatives que certains intérêts obscurs ou réflexes bureaucratiques pourraient susciter afin de bloquer les développements qui se mettent en place. Cela va de l’incapacité du système à accéder aux demandes de Tsipras à des risques de tentative de déstabilisation du pays. Source : Club Newropeans, 04/02/2015.

7 Source : Le Monde, 02/02/2015.

8 « Nous sommes tués par l’intergouvernementalisme », nous disait récemment un responsable de la zone euro. La « méthode intergouvernementale » fait référence à ce système de prise de décision à 28 sur des logiques d’intérêts nationaux, qui s’oppose à la « méthode communautaire » qui placerait la prise de décision aux mains du seul niveau européen, les deux méthodes espérant faire l’économie de la démocratie qui consisterait à fonder le système décisionnel européen dans la volonté des peuples européens.

9 C’est ainsi que la Banque d’Angleterre évoque la nécessité de sortir de la politique d’austérité quelques jours après l’élection de Tsipras. Source : The Guardian, 28/01/2015.

10 Source : Bloomberg, 30/01/2015.

11 Contrairement là encore à ce que les médias comprennent, un référendum britannique sur une sortie de l’UE se conclura par un refus (des sondages l’ont déjà montré) et tout le levier de chantage britannique sur l’UE prendra fin. Source : EUObserver, 23/10/2014.

12 La perspective de sortie de l’euro est un levier de négociation plutôt qu’autre chose. Quand on voit à quel point le système politique, institutionnel et financier européen vit dans la terreur de la moindre décision susceptible de faire baisser les bourses, on ne les imagine vraiment pas excluant l’un de ses membres ! La bonne nouvelle, c’est qu’ils vont donc devoir trouver un accord.

13 Source : BBC, 30/01/2015.

14 Mais sur ce dernier point, nous avons déjà fait remarquer qu’un système institutionnel qui dysfonctionne ne peut même plus servir les lobbies. L’enjeu devient dès lors commun de relancer la machine.

15 « Seules 15% des personnes interrogées se montrent favorables à un maintien de la dette grecque et des échéances de remboursement actuelles ». Source : Les Echos, 04/02/2015.

16 En dehors des inévitables minorités et des effets liés à l’absence d’alternative entre partis institutionnels et partis extrémistes… En France ou en Angleterre, par exemple.

17 On l’a vu aussi dans la couverture médiatique occidentale de la crise ukrainienne, très peu objective et extrêmement va-t-en-guerre, qui a laissé les populations pour le moins sceptiques.

GRÈCE: Syriza et dégradation de la note de la Russie : analyse de Jacques Sapir

Deux événements retiennent aujourd’hui l’attention : l’arrivée de SYRIZA au pouvoir en Grèce, à la suite des élections du 25 janvier, et la nouvelle dégradation de la note de la Russie par l’agence Standard and Poor’s.

En apparence, rien ne relie ces événements. Pourtant, des liens existent dès que l’on accepte de sortir des évidences par trop rabâchées.

La victoire de Syriza

Prenons tout d’abord la victoire, véritablement historique, de SYRIZA en Grèce qui a propulsée son chef, le charismatique Alexis Tsipras sous le feu des projecteurs. Ce parti est en réalité une alliance regroupant des anciens gauchistes, des anciens communistes, des écologistes, et des anciens socialistes. Ce qui a fait le ciment de cette improbable alliance, et qui explique son succès, avec plus de 36% des suffrages exprimés, c’est à la fois le refus d’une austérité meurtrière qui ravage la population grecque depuis 2010 et le refus de la soumission aux injonctions de Bruxelles et de la commission européenne. La question sociale, pour importante qu’elle soit, n’explique pas tout. Syriza s’est engagé dans un combat pour la souveraineté du peuple grec contre les bureaucrates de Bruxelles et de Francfort, siège de la Banque Centrale Européenne. La désinvolture affichée d’Alexis Tsypras, en veste et sans cravates, symbolise le changement face aux mines compassées et aux stricts costumes trois-pièces des bureaucrates européens. Ce symbole ne s’arrête pas à Athènes. La victoire de SYRIZA annonce peut-être celle de PODEMOS en Espagne au début de cet automne. Et, tout comme dans SYRIZA, la composante souverainiste est loin d’être négligeable dans PODEMOS, ou encore dans le parti Irlandais qui briguera lui-aussi la victoire au début de 2016, le SIN FEINN.

Mais, au-delà du symbole, il y a des actes. Et les premiers actes de Tsypras ont été des signaux très forts envoyés aux autorités de Bruxelles. Tout d’abord, il a constitué son gouvernement en passant une alliance avec le parti des « Grecs Indépendants » ou AN.EL. Beaucoup disent que c’est une alliance hors nature de l’extrême-gauche avec la droite. Mais ce jugement reflète justement leur réduction du combat de SYRIZA à la seule question sociale. Ce qui justifie l’alliance entre SYRIZA et les « Grecs Indépendants », c’est le combat pour la souveraineté. Tsypras, dans son premier discours, a d’ailleurs parlé de l’indépendance retrouvée de son pays face à une Union Européenne décrite ouvertement comme un oppresseur.

Le deuxième acte fort du nouveau gouvernement a été de se désolidariser justement de la déclaration de l’UE sur l’Ukraine. Une nouvelle fois, l’UE condamnait la Russie. Tsypras a dit, haut et fort, que la Grèce n’approuvait pas cette déclaration, ni sur le fond ni dans sa forme, car elle avait été prise sans respecter les procédures internes à l’UE. Il est désormais clair que l’UE ne pourra plus raconter n’importe quoi sur la crise ukrainienne. La règle de l’unanimité s’applique encore.

Le troisième acte a été la décision du gouvernement, annoncée par le nouveau ministre des Finances M. Varoufakis, de suspendre immédiatement la privatisation du port du Pirée. Cette décision signifie la fin de la mise à l’encan de la Grèce au profit de l’étranger. Ici encore, on retrouve la nécessité d’affirmer la souveraineté de la Grèce.

Une dégradation très politique

Dans le même temps, on apprenait que l’agence de notation Standard and Poor’s avait dégradé la note de la Russie, plaçant cette dernière en catégorie spéculative. Si cela n’avait des conséquences économiques sérieuses quant aux entreprises russes et à leur capacité à emprunter sur les marchés financiers occidentaux, on pourrait rire de cette décision. Quelle « spéculation » y-a-t-il sur un pays dont la dette publique s’élève à 9% du PIB (contre plus de 90% pour celle de la France) et qui prévoit un déficit budgétaire de 1,5% en 2015, quand celui de la France sera largement au-delà des 3%?

Il n’y a aucun risque quant aux finances publiques russes. Il n’y a d’ailleurs pas plus de risques sur les entreprises. On voit donc que seules des raisons politiques peuvent expliquer cette dégradation. D’ailleurs, l’agence chinoise Dragon Global Credit (DGC), au contraire confère à la Russie une excellente note. En fait, cette dégradation apparaît comme une nouvelle étape dans les « sanctions », décidées à Washington et imposées tant aux agences de notation qu’aux pays de l’Union Européenne. Il n’y a aucune rationalité économique derrière cette notation sinon le discrédit politique imposé par les États-Unis sur les marchés vis à vis de la Russie.

Et c’est ici que les deux événements se touchent. Avec l’élection de SYRIZA en Grèce, un grain de sable est en train de se glisser dans la machine européenne aux ordres des États-Unis. Avec la décision d’imposer à Standard and Poor’s la baisse de la note de la Russie, les États-Unis sont probablement allés trop loin. Ils ont déconsidérés le processus de notation des dettes, ce qui va provoquer, à terme, une fragmentation de la finance internationale, et ce qui aura des conséquences désastreuses tant pour le Dollar que pour la puissance financière des États-Unis. En effet, il ne peut y avoir de marché international des dettes, qu’elles soient privées ou publiques, que si le jugement porté sur ces dernières – jugement certes imparfait, nous le savons depuis la crise des subprimes – est déconnecté de tout aspect politique. En oubliant cela, les États-Unis qui sont jusqu’à maintenant les principaux bénéficiaires de la globalisation financière, se sont tirés une balle dans le pied. La politisation du processus de notation des dettes ne peut qu’aboutir à un doute grandissant sur la nature de ces dettes, et donc à une « dé-globalisation » qui poussera chaque pays à adhérer à des blocs financiers au grès de ces choix politiques.
Athènes et Moscou

Il faut donc voir la victoire de SYRIZA dans son contexte international. Cette victoire est la première pierre apportée au tombeau d’une Europe bureaucratique, confite dans l’austérité, inféodée aux États-Unis. Les déclarations d’Alexis Tsypras sur l’Ukraine en particulier, en témoignent. Dans le même temps, emportés par leur désir de détruire la Russie, les États-Unis ont mis en marche le processus de destruction de la globalisation financière qu’ils avaient construite avec beaucoup de persévérance depuis 1975. Le fait que ces deux événements se soient produits à quelques heures d’intervalle est important. Il témoigne de ce que nous vivons aujourd’hui un moment où se retournent les grandes tendances du monde. Ce n’est pas le début de la fin comme le disait Churchill, mais la fin du début.

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